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CSI : San Francisco

1x02 Bruits de Couloir

Résumé: Un cadavre est découvert dans une voiture. Shelley et l'inspecteur Finley mènent l'enquête. 

Genre : Policier. Romance M/M.

Tout public.

5 Chapitres /4902 mots

Prologue 

 

Après trois heures passées à traîner dans les rues, à fumer des joints et à boire des bières qu'un type avait accepté de leur acheter en échange d'un gros billet, les deux délinquants en herbe du quartier trouvèrent enfin de quoi s'occuper. 

Bien sûr, ils empruntaient rarement les voies légales de l'amusement mais jamais ils ne dépassaient une certaine limite. Ils ne cessaient cependant de la repousser chaque jour. 

Voler une voiture en plein après-midi, Casper et Vince l'avaient déjà fait. Descendre à toute vitesse California Street pour sauter les bosses comme dans les films, ils l'avaient aussi fait et plutôt deux fois qu'une. Se faire arrêter par les flics, ils connaissaient aussi. Mais se faire pincer au volant d'une caisse volée, avec dans le sang un taux d'alcoolémie un poil au-dessus du seuil autorisé, sans permis en poche et avec un cadavre dans le coffre, ça, c'était une sacrée première. Et c'était vraiment trop d'enfer. 

  

  

Chapitre 1 

  

Shelley descendit (tout en douceur) California Street près de vingt minutes après les délinquants volants. Il s'arrêta à quelques mètres du cordon de sécurité, descendit de voiture, s'empara de sa mallette d'expert et se dirigea à l'intérieur du périmètre. 

Les deux agents de police qu'il croisa lui firent un petit signe de tête en guise de salut. Ils se la jouaient professionnels et indifférents mais une grimace de dégoût flottait sur leurs visages à tous les deux. Pas au point de rendre leurs petits-déjeuners, mais de quoi leur couper l'appétit une heure ou deux.  

Shelley rejoignit Glenn Dumas, penchée au-dessus du macchabée recroquevillé dans le coffre de la voiture volée. Une odeur pestilentielle s'en dégageait. La peau brune collée aux os saillants faisait penser à une momie. Sauf que le cadavre n'avait pas été vidé, embaumé et entouré de bandelettes. On l'avait seulement laissé pourrir là-dedans, se ramollir par la décomposition et la chaleur.  

"Il est là-dedans depuis combien de temps ? tenta de se renseigner Shelley. 

– Quatre à cinq jours, lui fit savoir la légiste en pivotant d'un quart de tour vers lui. Il était enveloppé dans un grand sac poubelle triple-épaisseur, et il y en a une bonne dizaine qui tapissent le fond du coffre. Ça a empêché les fluides corporels de s'infiltrer dans la moquette et d'occasionner une fuite quelconque. Ce qui nous aurait permis de remonter la piste. 

– Charmant", fit remarquer Shelley en se penchant avec elle au-dessus du macchabée. 

Sans oublier de respirer par la bouche, bien entendu. Même ainsi, ça empestait, mais l'habitude lui maintenait l'estomac en place. 

"Une idée de son identité ? 

– Non, il n'a aucun papier sur lui, rien qui permette de l'identifier pour l'instant. En l'état actuel des choses, je ne peux rien t'apprendre de plus, si ce n'est qu'il a les yeux bleus, des cheveux châtain clair, que ses vêtements sont plutôt bon marché mais en très bon état, et qu'il chausse du 45." 

Shelley étudia un instant le visage en décomposition du cadavre et fit une moue incertaine.  

"Cause de la mort ? 

– Aucune blessure visible. Je dois le sortir de là pour m'en assurer. La remorqueuse est en chemin." 

Shelley hocha la tête et se redressa. À quelques mètres de là, les jeunes Casper et Vince oscillaient entre l'ahurissement et l'agacement. À eux deux, ils n'atteignaient pas le nombre d'années d'expérience qu'il avait empilé dans la détection des mensonges. Une aptitude naturelle qu'il avait longuement affinée et améliorée pendant sa carrière de flic, aussi bien au service des affaires internes à Portland, qu'ici, au labo de la police scientifique où il exerçait ses talents de profileur. 

Il prit congé de la légiste et s'approcha du groupe que formaient sur le trottoir les deux délinquants menottés, les agents de police qui avaient procédés à leur arrestation, et l'inspecteur Finley qui les interrogeait sur la présence du cadavre dans le coffre de la voiture volée. 

"Et vous n'avez rien senti ? 

– Ben non ! Enfin si, quand l'autre a ouvert le coffre ! s'écria le premier. 

– L'autre est agent de police. Un peu de respect s'il te plaît, ou je vais devoir ajouter une ligne à ton casier judiciaire. 

– Pardon, m'sieur l'inspecteur." 

Un peu en retrait, Shelley sourit. L'air penaud qu'affichaient les deux lascars lui disait que Finley leur avait mis les points sur les "i" avant même qu'il ne s'adresse à eux. Ils n'en menaient pas large, face à cet homme qui devait bien mesurer deux têtes de plus qu'eux, et peser le double de leur poids. 

"Autre chose que je devrais savoir ?" questionna-t-il. 

Les deux gamins échangèrent un regard dubitatif et haussèrent les épaules.  

"Non m'sieur, fit alors le second. 

– Bon. Alors on va vous conduire au poste, relever vos empreintes et appeler vos parents. Vous allez vraiment passer une journée inoubliable, les enfants." 

Il fit signe aux deux patrouilleurs de s'occuper d'eux, puis se tourna et vit Shelley. Ils se saluèrent et se serrèrent la main. 

"Toujours pas identifié ?" 

Shelley secoua la tête : "On a seulement une description approximative. Et de votre côté ?" 

Finley ouvrit son calepin et lui fit un topo à l'aide de ses notes :  

"La voiture appartient à un détective privé du quartier russe, Yuri Rashkovic. Les deux gamins lui ont piqué sa bagnole sur le parking de la superette, à deux pas de son bureau. Les portières n'étaient pas verrouillées et les clés sur le contact. Ils n'ont eu qu'à se servir. J'ai envoyé des hommes sur place pour poser des questions, trouver Rashkovic si c'est pas notre macchabée et pourquoi pas des témoins. 

– L'adresse ?" 

– Au croisement de Polk Street et Pacific Avenue. Béni soit l'inventeur du GPS", ajouta-t-il en refermant son calepin pour se diriger vers sa voiture. Je vous tiens au courant." 

Shelley acquiesça. En voilà un qui ne s'embrassait pas de superflu. Direct à l'essentiel. Parfait. 

Il ne lui restait plus qu'à prendre quelques clichés, à passer la zone en revue par acquis de conscience, avant de rejoindre le laboratoire de la police scientifique, où il pourrait examiner la voiture délestée de son chargement. 

  

  

Chapitre 2 

  

Une fois les vêtements retirés puis soigneusement emballés, et les fluides corporels évacués, l'odeur dégagée par le cadavre devint un poil plus supportable. Le docteur Glenn Dumas semblait depuis longtemps imperméable aux odeurs putrides des corps en décomposition. L'habitude de ne respirer que par la bouche, sans doute. Quoi que cette seule méthode, même appliquée consciencieusement, ne donnait pas toujours entière satisfaction. L'assistant légiste, David Holt, en faisait aujourd'hui l'expérience. Il avait l'impression que les odeurs s'imprégnaient dans ses tissus olfactifs envers et contre tout, qu'elles s'insinuaient même par tous les pores de sa peau. Des odeurs intelligentes, en quelque sorte. Aussi agressives que fétides. 

C'était ça, le pire. Le genre de détail qui avait son importance sur le moment, mais qu'il préférait passer sous silence, notamment quand ses parents faisaient mine de s'intéresser à son travail en lui posant des questions pendant les repas de famille, par exemple. Ceux auxquels il consentait à participer, la mort dans l'âme. 

Ses parents ne comprendraient jamais la voie qu'il avait choisi. Leur incompréhension était comme les odeurs. Insidieuse et désagréable. 

"Nous allons commencer par les clichés radio", indiqua Dumas de sa voix grave et assurée, après avoir étudié attentivement le corps allongé sur la table d'autopsie, à la recherche de signes particuliers qui aurait pu leur fournir une piste quant à son identité. 

Elle ne trouva rien d'évident, étant donné l'état déjà avancé de décomposition du cadavre. Et rien non plus au niveau des éventuelles traces de coup ou de blessures qu'il aurait pu recevoir, et qui aurait pu leur indiquer la cause de la mort. Rien de visible à l'œil nu. 

Elle approcha le matériel de radiographie, ils enfilèrent les combinaisons bleues et les grosses lunettes de protection, et se mirent au travail, photographiant de bas en haut leur cadavre. 

  

L'étude des clichés ne leur apprit pas grand-chose de plus. Dumas les avait affichés sur le panneau lumineux et les contemplait, son index posé sur sa lèvres inférieure, ses lunettes au bout de son nez. 

"Holt ? 

– Oui, docteur ? 

– Ce moulage dentaire ? 

– J'ai presque terminé. 

– Bien." 

L'homme étendu derrière elle la laissait bien perplexe. À part quelques fractures anciennes, il avait la particularité de n'avoir aucun signe particulier, justement.  

Oh mais pas pour longtemps. Elle allait bien finir par mettre un nom sur ce visage décomposé. Il lui restait tout un tas de cartes dans son jeu. 

S'armant d'une pince coupante, elle s'assit au chevet du mort et le priva d'un coup sec de son index droit. Puis, se munissant d'une lame stérile et extrêmement tranchante, pratiqua quelques infimes incisions sur ce bout de doigt et finit par n'en garder que les couches épidermiques. 

Une fois la peau tendue, avec précaution, il ne lui resta plus qu'à la passer au scanner et sur l'écran s'afficha alors une belle empreinte digitale prête à être comparée avec toutes celles que contenait la base de données. 

"Si avec tout ça on n'obtient pas une identification, je me teins les cheveux. 

– Quelle couleur ?" s'enquit Holt. 

– En noir", choisit Dumas. 

– Je suis sûr que ça vous irait très bien. 

– Ne dites pas de bêtise", lui dit alors la légiste, sur un ton très sérieux. 

  

  

Chapitre 3 

  

"Justin ! l'interpella Shelley quand il le vit sortir de son bureau alors qu'il entrait lui-même dans le sien : J'attends toujours le rapport de l'affaire Li. 

– Il est sur ton bureau, lui répondit celui-ci sans s'arrêter, se dirigeant vers les salles d'analyses. 

– Bien ! Merci, fit Shelley, un peu pris de court. Justin !" 

L'expert s'arrêta et se retourna, l'air interrogateur. Le chef de la scientifique lui dit alors : "Vous avez tous fait un excellent travail sur cette enquête." 

Justin fit une moue incertaine, ne sachant jamais trop quoi dire quand on lui faisait des compliments. Juste que c'était son travail. Alors il esquissa seulement un signe de la main et continua son chemin. Ça valait mieux que de répondre une banalité. Du style "c'est pour ça qu'on me paye". 

Une poignée de secondes plus tard, Shelley s'installa à son bureau. Le rapport final de l'affaire Li était bien là, ainsi que les documents concernant sa propre enquête. 

Yuri Rashkovic. 

Les investigations de Finley ainsi que les résultats de l'autopsie avaient permis de confirmer sans aucun doute possible l'identité du cadavre. Le mobile du crime, lui, restait pour l'instant dans l'ombre. Tout ce qu'ils savaient, c'était qu'il était probablement lié à son activité professionnelle. Les détectives privés avaient le don de multiplier les zéros sur leur compte en banque en même temps que le nombre de leurs ennemis. 

Un morceau de papier photographique avait d'ailleurs été retrouvé au fond de la gorge du macchabée. Pas d'empreintes. Mais en retrouvant la partie manquante, ils pourraient certainement se mettre un premier suspect sous la dent. 

Son téléphone sonna en même temps que Cate Leonard frappait à sa porte. Il lui fit signe d'entrer et décrocha :  

"Shelley... Oui..." 

Il sourit à sa collègue et l'invita à s'asseoir d'un geste de la main. 

"Très bien, faxez-moi le compte-rendu de l'interrogatoire, j'aimerais en avoir une copie... Merci. À plus tard." 

Il raccrocha. "Du nouveau ?" 

Cate haussa les sourcils :  

"Les analyses ne donnent rien. On a aucune correspondance ADN. Mais il y a un détail qui devrait te plaire. L'autopsie révèle que le jeune Deevers a été poignardé pendant l'acte sexuel. 

– Vraiment ? fit Shelley, songeur. Ça peut vouloir dire tout et son contraire..." 

Il n'était jamais simple de résumer une personnalité avec si peu d'éléments. Un mode opératoire bien spécifique, certes, mais une seule victime. Autrement dit, ce n'était même pas la peine de compter sur un profil. Tout juste quelques pistes à explorer. De très nombreuses pistes... 

"Si nous partons du principe que ce meurtre a été commis au hasard, on peut facilement en déduire que son auteur a soit un problème avec l'acte lui-même, soit avec le type de victime qu'il a choisi. D'un côté on peut avoir quelqu'un qui n'assume absolument pas ses penchants homosexuels, et qui rejette la faute sur les partenaires qu'il met occasionnellement dans son lit... à l'opposé, on peut avoir quelqu'un qui s'assume totalement, parfaitement intégré socialement, et qui s'est donné pour mission de débarrasser les rues de ses... "parasites". L'arme utilisée et la violence des coups ferait plutôt pencher la balance du côté de la première hypothèse, mais tu sais comme moi..." 

Elle se tourna quand elle entendit les coups frappés à la porte du bureau. 

"Entrez ! s'interrompit Shelley en faisant signe à son visiteur : Du nouveau ?" 

Finley s'approcha après avoir salué Cate, et apprit les dernières nouvelles au chef de la scientifique :  

"Une jeune femme s'est présentée au bureau de Rashkovic, tout à l'heure. Elle le cherche depuis trois jours. Sa mort l'a étonnamment bouleversée. Elle est certaine que c'est son mari qui a fait le coup. 

– Vous la croyez ? 

– J'ai vérifié : le mari s'est volatilisé du domicile conjugal il y a deux jours avec toutes ses affaires persos, la voiture de madame et leurs économies. J'ai lancé un avis de recherche fédéral sur lui et la voiture. Si quelqu'un utilise son téléphone ou sa carte bancaire, je le saurai. Je me suis dit qu'en attendant, vous pourriez vérifier si ses empreintes correspondent à celles qu'on a retrouvé sur les sacs poubelle." 

Shelley accueillit alors sur son bureau un scellé contenant deux tournevis, un stylo et une souris d'ordinateur filaire. Le stylo se trouvant dans un sachet à part. 

" Juste histoire de s'assurer qu'on court après le bon type, précisa Finley.  

– Dites-moi : ce stylo... 

– Elle s'en est servie pour me donner son numéro perso.  

– … Vous pensez qu’elle et son mari ont fait le coup ensemble pour se débarrasser du détective ? 

– Ou alors elle les a liquidés tous les deux, et on cherche un deuxième cadavre.” 

Shelley hocha la tête, satisfait de constater qu’aucune piste n’était négligée dans cette affaire. Il promit à Finley de l’appeler dès qu’il aurait les résultats. Celui-ci l’en remercia et s’éclipsa avec un sourire. 

 

“Tu crois qu'il est toujours comme ça ? fit Cate à l'adresse de son supérieur quand ils se retrouvèrent à nouveau seuls.  

– Comme quoi ?  

– Aussi... charmeur ”, siffla-t-elle. 

Shelley enfila ses lunettes, ouvrit un dossier, mais sans cesser de regarder Cate dans l'attente d’éventuelles précisions. Aurait-elle des reproches à formuler à l’encontre du nouvel inspecteur de la Crim’ ? 

" Tu as entendu les bruits de couloir ? murmura-t-elle alors. 

– Les faits, Cate. 

– Finley a invité Justin au Lemon Bar, l’autre soir. Il m’a demandé s’il était gay, juste avant. 

– Et tu en as conclu... 

– Que Finley était gay aussi, contre toute attente, et que Justin lui avait tapé dans l’œil. Tu sais, le coup de foudre. Et j’étais contente pour Justin, je l’ai encouragé à accepter, et à en profiter, mais j’ai peur de m’être totalement plantée. Finley est un tombeur, beaucoup plus sûr de lui qu'il n'y paraît. J’ai moi-même été happée par... enfin bref. Tout ce que je veux dire, c’est que cet homme cherche peut-être uniquement à s'éclater et à rattraper le temps perdu à Phoenix dans son ancienne vie, au détriment des conséquences...“  

Elle s’interrompit dans un long soupir. 

“ Justin l'a pratiquement obligé à s’installer chez lui, annonça finalement Shelley, laissant la scientifique un peu décontenancée.  

– Sérieusement ? 

– J’ignore si c’est sérieux. Tout ce que je sais, c’est que Justin est parfaitement conscient de ce qui est en train d’arriver. Et de la façon dont ça pourrait se terminer. Il est peut-être le dernier d’entre nous à se faire des illusions.  

– Tu crois ça ? 

– Pas vraiment, non. Je peux te confier ça ? 

– Bien sûr, je m’en charge”, fit-elle en récupérant les sachets contenant probablement la clé qui mènerait Shelley et l’inspecteur de l’Arizona dans la bonne direction. 

“Je les tiens à l’œil, annonça-t-elle avant de quitter la pièce. 

– Je compte sur toi.” 

  

  

Chapitre 4 

  

Les mains jointes sur la table, l'inspecteur Finley se tournait littéralement les pouces. Face à lui, un homme blond âgé d'une quarantaine d'années, au froncement de sourcil agressif et à l'allure antipathique tapotait du talon sur le sol. 

Le silence lui pesait littéralement sur les épaules. C'était le cas pour tous les suspects placés en garde à vue et installés en salle d'interrogatoire en présence d'un inspecteur revêche et d'un flic en uniforme qui montait la garde, prêt à mordre. C'était encore plus valable pour les coupables. Sauf ceux qui n'avaient rien à perdre, et ceux qui ne doutaient de rien, mais contrairement à ce qu'on pouvait voir chaque jour à la télévision, ceux-là étaient plutôt rares. Ils finissaient tous par se mettre à table. 

Marrant, cette expression. Eric Chambers était déjà à table. Il ne lui restait donc plus qu'à mettre le couvert… ou vider son sac. Cracher le morceau.  

À coopérer enfin. 

"Qu'est-ce qui vous fait marrer comme ça ?" siffla Chambers. 

Clive haussa les sourcils d'étonnement. Il ne se marrait pas, il souriait, seulement. Alors ça, c'était typique. Un homme au pied du mur se montrait facilement prompt à déformer et exagérer les réactions d'autrui, à interpréter n'importe comment ses gestes et mimiques, tout ça pour se sentir un peu plus victime et un peu moins coupable. 

"Vous avez le mobile du siècle, pas d'alibi, lui fit remarquer Clive. Je vous ai parlé du témoin ? 

– Quel témoin ? 

– On a mis la main sur quelqu’un qui vous place sur les lieux du crime à l'heure où il a été commis. 

– Vous parlez de ma femme ? 

– Qu'est-ce qui vous fait dire ça ? 

– Vous l'avez sautée ? 

– Si je l'ai... Monsieur Chambers. Je ne suis pas là pour répondre à vos questions. Mais je veux bien faire une exception si vous me dites pourquoi et comment vous avez tué Rashkovic.  

– J'ai réclamé un avocat. 

– Il est en chemin.  

– Je ne parlerai qu'en sa présence. J'suis sûr que vous vous l'êtes tapé. Elle saute sur tout ce qui bouge", marmonna Chambers en secouant la tête, obnubilé par sa femme et ses nombreuses (supposées ?) incartades.  

Finley garda pour lui les impressions que lui avaient laissé cette dernière. Celles d'une veuve éplorée, d'une femme trahie, d'une sangsue, d'une veuve noire... Difficile de savoir à quoi s’en tenir. Avec le recul, et divers autres éléments d’enquêtes (concrets), la vérité avait fini par apparaître. Rachel Chambers n'était qu'une dévoreuse d'hommes, la victime d’un jeu dont elle n’avait jamais vraiment maîtrisé les règles.  

À une certaine époque, en d'autres circonstances, il aurait même pu se laisser séduire par cette sangsue. Qui sait s'il elle ne lui aurait pas tourné la tête, et si on n’aurait pas retrouvé son cadavre momifié dans un coffre de voiture. Ou bien en vie sur le tarmac d’un aérodrome privé, muni de faux papiers, pour échapper à la justice de son pays ? 

Dans une autre vie, peut-être.  

La porte s'ouvrit sans préambule et Shelley apparut, documents à la main. Il prit place aux côtés de Finley. Sur son visage en apparence neutre se dessinait l'ombre d'une expression satisfaite. 

Chambers le dévisagea, la bouche entrouverte, comme si les aveux qu'il gardait pour lui depuis qu'il avait été arrêté n'attendaient qu'un signal pour être libérés.   

"Vous pouvez nous expliquer ce que vos empreintes faisaient sur la voiture de Rashkovic et sur un des sacs qui tapissaient son coffre ? lui demanda calmement Shelley.  

– C'est impossible. 

– Pourquoi ? 

– Parce qu’il a mis des gants, intervint Finley. Le jour du meurtre. " 

Chambers vira au translucide. Le jour du meurtre, oui. Pas le jour où il avait placé le traqueur sous la voiture de ce Ruskov pour le pister, ou bien quand il avait récupéré l'appareil avant d'abandonner la caisse (et le cadavre) sur ce parking... Il avait dû s'appuyer sur la carrosserie... Merde. Quant au sac poubelle, il pensait les avoir effacées...  Une de ses empreintes, même partielle, avait dû restée imprimée sur le plastique quand il l'avait pris dans le rayon, à la droguerie. Merde et remerde. Comment allait-il bien pouvoir se sortir de ce guêpier ?  

" C'est qui, votre témoin ? voulut-il savoir. 

– Vous ferez sa connaissance au tribunal, intervint Finley, plus tellement enclin à négocier au jeu des questions-réponses.  

– Il vous a dit pourquoi il tentait de quitter le pays ? s'enquit Shelley discrètement en se penchant du côté de l'inspecteur.  

– Il ne veut parler qu'en présence de son avocat. Maître... Philip Palmer ? Parker ? 

– Parker, commis d'office ? 

– C'est ça." 

Shelley hocha la tête, d'un air explicitement satisfait. Le tout sous le regard furieux de Chambers, qui finit par exploser : 

“ Arrêtez de faire ça ! Comme si j'étais pas là ! Vous me prenez pour un con ! Vous savez quoi ? Je vais vous dire : j'ai engagé ce putain de Ruskov il y a trois mois pour surveiller ma femme. Il a admis avoir fait durer sa petite enquête pour accumuler les preuves, tu parles, il accumulait plutôt mon fric en se branlant derrière son objectif. Et puis il en a eu marre, il a voulu passer de l’autre côté, l’avoir pour lui tout seul ! Il a cherché à me faire croire qu’elle était digne de confiance, qu’elle sortait avec ses copines, sa maman, qu’elle faisait du shopping, et je sais même plus quelles conneries ! Deux mois qu'il se foutait de ma gueule en la baisant dans son bureau de détective à la manque ! 

– C'est pour ça que vous avez accumulé ces photos au fond de sa gorge ? 

– Ce n'est que justice ! 

– Mais alors... réalisa Finley. On n'attend pas votre avocat ? 

– Allez vous faire foutre ! Tous autant que vous êtes !" explosa Chambers en tapant du poing sur la table.  

 

“Je vous offre un café ?" proposa l’inspecteur à Shelley en sortant de la salle d’interrogatoire, alors que deux agents du SFPD s'apprêtaient à escorter Eric Chambers en détention.  

L’homme, pas encore tout à fait calmé par ses propres révélations, avait renoncé à parler à un avocat. Il semblait avoir carrément renoncé à la raison. Quelques heures en cellule lui feraient peut-être voir les choses différemment, mais la suite de son parcours ne concernait plus ni la Crim’, ni la Scientifique. Au moins jusqu’au procès.  

"Volontiers", accepta Shelley. 

Les deux hommes se retrouvèrent au comptoir du “24/7”, le Diner ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept à deux pas du poste. Le café était très bon. Les gaufres aussi. Les donuts marchaient du tonnerre, ainsi que les œufs brouillés et les saucisses du matin. Sans oublier la tarte aux pommes de Gloria, la patronne de l’établissement. 

Finley commanda un thé noir et une assiette de gaufres au sucre. Shelley se contenta d’un expresso, allongé d’un nuage de lait.  

Ils discutèrent de deux trois sujets sans réelle importance, avant de trinquer à la résolution de leur affaire.  

“Vous avez pris vos marques”, remarqua David Shelley au bout d’un moment. 

Finley hocha la tête, attendant d’avoir avalé son morceau de gaufre pour taper directement dans le vif du sujet : 

“Vous vous inquiétez pour Hollohan ? 

– Non, c’est surtout pour vous que je m’inquiète. 

– Je suis curieux de savoir pourquoi.  

– J’ai contacté quelques personnes en Arizona. Je me suis renseigné sur vous. Vos états de service, et le reste.” 

Finley s’adossa à sa banquette, posa son bras sur le dossier et soupira doucement : 

“Surtout “le reste”, hein. Laissez-moi deviner : vous vous dites que je suis la Rachel Chambers de Phoenix ? Version bi, queutard... et sans cœur ? 

– C’est comme ça que vous vous définiriez ?” 

Finley échappa un rire bref. 

“ Non. Pas du tout. Je vous écoute, Shelley. Faites-moi un briefing complet. 

– Vous n’avez pas besoin que je vous énumère tout ce que vos supérieurs, vos coéquipiers, et même votre ex-femme vous reprochent, tout ça ne m’intéresse pas. Ce qui m'importe, c’est le travail que nous faisons aujourd’hui, et que nous allons continuer à faire ensemble, ici à San Francisco. Ce qui s’est passé à Phoenix... 

– doit rester à Phoenix, termina Finley d’un ton sans appel. Et si jamais je fais souffrir Justin... 

– Il vous le fera payer. Et s’il n’est pas en mesure de le faire, pour une raison ou pour une autre, soyez certain que je m’occuperai personnellement de votre cas.” 

L’inspecteur tendit la main au-dessus de leurs consommations, et l’expert la lui serra chaleureusement. Voilà qui avait le mérite d’être clair. C’était toujours agréable de se savoir sur la même longueur d'ondes.  

“Rien de telle qu’une bonne relation entre services.  

– À qui le dites-vous, inspecteur Finley. À qui le dites-vous... Je vais peut-être bien me laisser tenter par une part de tarte, finalement. Gloria ?” 

 

 

Chapitre 5 

 

“C’est vrai, ce qu’on dit ?” 

Finley haussa un sourcil et se détourna de la machine à café dont il avait ouvert le capot pour mettre un nom sur ces mots. 

Jamie Devine s’approcha, jeta un œil dans le ventre de la machine et précisa : 

“C’est vous qui avez réparé la Grosse Bertha du Central ?  

– Le café avait un goût de moisi. 

– Pas faux. J’aurais dit de grenier humide, mais c’est une question d’appréciation.  

Finley acquiesça. À l’aide d’un chiffon, il nettoyait consciencieusement chaque pièce de la machine avant de la remettre en place. Le plus gros était fait. Ça avait dû lui prendre une bonne demi-heure.  

“Vous êtes un habitué du Central ? demanda-t-il. 

 – Avant d'être engagé ici, je travaillais au service des enquêtes informatiques du SFPD. Tout ce qui est piratage, analyse de disque durs et tout ça", lui expliqua Jamie, constatant que Finley buvait ses paroles avec la même concentration qu’il mettait à la tâche. 

"Maintenant, je fais ça ici, à plus grande échelle. Et je suis un poil mieux payé, ajouta-t-il tout bas en pinçant son pouce et son index. Mais bon, quand on a besoin de moi, je suis là. J'abandonne pas mes vieux amis comme ça." 

Clive hocha la tête, amusé, avant de lui poser une autre question : "C'est quoi, votre plus grosse prise ? 

– Un pédophile. Arrêté il y a deux ans, lui répondit l’informaticien sans hésiter. Il avait enlevé huit petites filles qu'il essayait de revendre sur le net. Quand la transaction n'aboutissait pas où qu'il y avait trop de risques, il les tuait et les jetait dans la baie. Ça me file encore la chair de poule, regardez." 

Il releva sa manche. Clive dut bien admettre que c'était vrai. 

"Comment vous avez fait ? 

– Je l'ai piégé en me faisant passer pour un acheteur. Cinquante pour cent de négociations, cinquante pour cent de bidouillage informatique. C'était chaud. 

– Je veux bien vous croire, commenta Finley, visiblement sidéré par cette histoire, mais surtout par celui qui la racontait, mu par une fierté pourtant humble. Félicitations." 

Jamie haussa les épaules en sirotant son café bouillant. 

“Il a réussi à en vendre ?" 

Le capot de la machine se referma sèchement. L’inspecteur passa un dernier coup de chiffon. 

"Deux. 

– Et vous les avez retrouvées ?" 

Jamie acquiesça et le rassura aussitôt en lui apprenant qu'elles étaient toutes les deux en bonne santé quand ils les avaient récupérées et qu'elles avaient très vite regagné leurs familles. 

"Tant mieux." 

Finley posa un mug sur le socle et tira un café noir. Son soulagement était perceptible. Pour un type comme lui, dans le circuit depuis plus de quinze ans, ça semblait le toucher tout particulièrement.  

"Je vous ferez une démonstration, un de ces jours, lui sourit Jamie en acceptant de goûter le tout nouveau café des labos scientifiques. C’est vraiment vrai, ce qu’on dit... 

– Quoi, cette fois ?” 

L’informaticien se dirigea vers la sortie, emportant avec lui son mug et la réponse à cette question.  

“J’ai les moyens de te faire parler, Devine ! 

– Merci pour le café, mec. 

– Y'a pas de quoi.” 

C’est alors que Justin apparut dans l’encadrement de la porte.  

“Qu’est-ce qui vous amène, toi et ta grande gueule ? 

– On est venu assister à une autopsie. Une ado. On voulait s’assurer que c’était bien un suicide.  

– Et ? 

– C’est bien un suicide. Je t’offre un café ? 

– Ç’aurait été avec plaisir mais j’ai dépassé mon quota. Je risque de me transformer en grosse pelote de nerfs. Pourquoi tu me regardes comme ça ? 

– C’est-à-dire ?” 

Justin entra plus avant dans la salle de repos, ouvrit le frigo et en sortit une canette de soda. Il en but la moitié, et s’appuya contre le plan de travail, observant Finley, qui décida de s’occuper en repliant le torchon en deux, puis en quatre, puis en huit.  

“ Comme si tu avais quelque chose à m’annoncer. 

– Non... J’ai rien... Rien de spécial. À part que nous deux... Faut que tu saches que pour moi c’est sérieux.” 

L’expert hocha la tête, pensif : 

“Rien de spécial, hein.” 

Finley passa un coup de propre autour de la machine, rangea le torchon dans un tiroir, et confirma avec un sourire : “Rien de spécial.”  

Puis, se dirigeant vers la sortie, il ajouta : “Maintenant si tu permets, moi et ma grande gueule, on a pas mal de travail... 

– Mais je vous en prie”, permit Justin.  

Seul, ce dernier leva sa cannette à moitié vide pour porter un toast à tous ceux qui rendaient la vie sur terre plus légère et agréable. 

 

  ~ fin~  

épisode suivant :

1x03 LES ARCANES DU POUVOIR (prochainement)

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© Valérie Macraigne