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Chien Enragé (Olive / Helmo)
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Chien Enragé (Olive / Helmo)
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Personnages : Olive – Helmo - Raoul

Genre : Fantasy / Steampunk

 

Troisième défi Facebook. Voici la liste des 10 mots imposés :

 

Sardines / Australopithèque / Caissières / Superstitieux / Hélicoptère / Radis / Voler / Fumoir / Embardée / Haricots

 

Réunis dans ce nouveau chapitre des aventures d’Olive & Helmo, suite directe de « Même Combat » et « Chemin de Traverse ».

 

Rappel + résumé : le ballon du célèbre résistant Helmo Normandy s’est écrasé dans le potager d’Olive, en zone libre. Celle-ci décide de l’aider à cacher l’aéronef et accompagne son idole chez un voisin éloigné dont elle ignorait l’existence : le mécanicien, et mystérieux Raoul.   

 

Je remercie Marie-Madeleine, Karine, Carole, Cell, Kwis, Manue, Fred et Céline pour leur inspiration vocabularistique ^^ (pas moyen de retrouver qui m’a proposé « Superstitieux » !! Désolée^^

 

 

Chien Enragé

 

Retirés dans un petit fumoir attenant au salon, le propriétaire des lieux (qui tirait de sa pipe de longues bouffées de tabac) et Helmo le résistant, argumentaient à voix basse et par gestes sur ce qu’il convenait de faire ou non.

Assise seule à la table de la cuisine, devant les restes d’un repas interrompu (une pomme à moitié grignotée, une boîte vide de sardines, posée dans une assiette où subsistaient des fanes de radis, quelques fils de haricots et un fond de vinaigrette à la moutarde), Olive comprenait que le prénommé Raoul reprochait à son ami de l’avoir amenée jusqu’ici.

« Cool, Raoul », murmura-t-elle entre ses dents serrées.

Tout en sachant bien que si elle avait la moindre occasion de lui envoyer cette réplique, elle devrait tout faire pour passer outre. Trop facile pour être digne d’elle.

Vexée de ne pouvoir défendre elle-même sa cause, elle laissait Helmo se charger de convaincre l’hurluberlu qui vivait dans cette maison. Une belle demeure de caractère, entourée d’arbres tentaculaires, et gardée par des automates à quatre pattes et aux crocs d’acier.

Il n’avait pas l’air homme à s’en laisser conter. Méfiant, paranoïaque, probablement superstitieux, le mécanicien frisait la cinquantaine. Comme Helmo, il était barbu, mais en beaucoup moins fourni. Cheveux et poils ras, du gris sombre au blanc, sourcils froncés, il  persistait à secouer la tête en signe de désapprobation.

Elle accueillait pensivement l’insistance d’Helmo à vouloir se justifier, l’imaginant insister de la même façon auprès de son papa, pour qu’il accepte de lui donner sa main... quand bien même elle était allergique à tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une vie de couple. Amusante, au début, et puis inévitablement... elle secoua la tête, enregistrant malgré tout la scène dans sa mémoire, pour les jours où elle se sentirait de trop, sans personne pour plaider sa cause.

Que de tergiversations. 

Enfin voyons : elle était là, alors à moins que l’inventeur ne sorte de sa manche une machine à remonter le temps, peut-être serait-il judicieux de passer directement à la suite. 

Diable. Elle n’avait pas eu le choix. Tout cela était parti d’un accident. Et Helmo cherchait par tous les moyens à réparer la casse. Tous les moyens à commencer par Raoul.

Raoul la Bricole. Raoul Trouvetout.

Cool Raoul.

Elle soupira discrètement. Failli s’étrangler à l’apparition d’un espèce de truc... un automate à forme à peu près humaine, qui entra en marchant sur ses deux pattes pour se poster dans un coin de la cuisine. Elle se recula sur sa chaise, soudain collée au dossier, confondue avec le bois, les yeux exorbités, immobile.

« ... peux me procurer ce dont j’ai besoin, plus vite nous partirons, entendit-elle. Si tu refuses, je comprendrais. Dans ce cas dis-le moi et nous partons tout de suite. »

Le machin la fixait de ses grosses billes noires mouvantes. Ses naseaux, au bout de son museau d’australopithèque semblaient humer l’air. Son odeur.

« ... pour vous deux d’être ici. Pour toi, d’être n’importe où. La Calamité est à tes trousses ! »

Olive osa à peine jeter un œil du côté du fumoir, d’où elle apercevait leurs ombres, et d’où flottait jusqu’à elle les effluves épaisses du tabac se consumant dans le fourneau de la pipe. Une odeur qui lui était agréable, car elle lui rappelait ses jeunes années, chez son oncle et sa tante, dont l’âme débordait de générosité, et le grenier de jouets et d’objets extraordinaires.   

Elle se détendit, de toute façon incapable de rester ainsi, tendue comme une corde de violon, une seconde de plus.

Parle-t-il français, cet affreux... australopitecus africanus... ou plutôt robustus, avec sa trombine de gorille ? se dit-elle.

L’automate ne cillait pas. Il ne semblait pas animé d’agressivité. Pas d’arme visible.

Apercevant alors un petit voyant rouge clignotant au niveau du torse de l’automate, elle acquit peu à peu l’intime conviction que la machine était venue ici en paix, dans le seul objectif de recharger ses batteries.

Elle se redressa sur sa chaise, qui grinça très légèrement, et avisa un socle carré, aux propriétés magnétiques sans doute, rivé sur le sol. Ce qui confirma sa théorie.

« Mademoiselle Olive, si vous voulez bien vous donner la peine. »

Elle leva les yeux sur Tonton la Bricole, surprise de le voir se fendre d’une relative politesse, des mots et du geste, mais pas encore du sourire. Point trop n’en faut, se dit-elle en soulevant ses fesses de la chaise grinçante. Pour l’instant, mister Cool. Pour l’instant.

Elle traîna des pieds à sa suite, dépassa Helmo à hauteur du fumoir. Visiblement soulagé d’avoir eu gain de cause, ce dernier lui adressa un clin d’œil complice au passage. Tandis qu’il lui emboîtait le pas, elle s’épousseta l’épaule et releva le menton, dans une attitude qui signifiait « Fastoche, mon grand. »

 

Elle baissa, aussi bas qu’elle le put, sa tête au passage de la trappe, puis s’agrippa fermement à la rambarde vermoulue pendant la descente des escaliers, dont les grincements n’avaient absolument rien à envier à ceux de la chaise de la cuisine. Les glissades, chutes, embardées, et crashs d’aéronef arrivaient si vite, en ces temps troublés. S’affaler sur le dos de ce cher Raoul détruirait à jamais ses chances de voir apparaître un sourire sur ce visage rond.

Après celles du tabac, lui parvinrent de l’atelier de Raoul les odeurs de soudure, de PVC fondu, de métal chauffé et de sciures, qui lui rappelèrent d’autres merveilleux souvenirs familiaux. C’était un réduit souterrain, pourvu en air respirable grâce à un ingénieux système de ventilation, très efficace (digne de son inventeur) et éclairé par une guirlande d’ampoules fixée au plafond. Sur l’établi central trônait un appareil volant en cours de montage. Il s’agissait d’une maquette perfectionnée d’hélicoptère, munie d’un blindage léger, d’une caméra, et sur le point d’être doté d’un moteur de sèche-cheveux. Un appareil certainement destiné à la surveillance des environs, ou pire : à l’espionnage ! Aux allures de gros insecte bourdonnant.

« Vous aimez beaucoup les animaux ? » demanda-t-elle sur un ton assez étrange.

Elle se demanda aussitôt quelle mouche venait de la piquer, non seulement de lancer cette simple remarque, mais de la tourner en question en cours de route.   

Le maître des lieux fit volte-face, l’air blasé. Elle ébaucha un sourire crispé, gardant un maximum de contenance face au bonhomme, qu’elle dépassait de près d’une tête.

« Pas vous ? lui demanda-t-il.

– Oh si, bien sûr.

– Elle est végétarienne, intervint Helmo en les dépassant pour se faufiler plus avant dans l’atelier.

– Vraiment ? » fit Raoul, exclusivement à l’attention de son grand ami.

Il s’était déjà détourné d’elle pour le rejoindre.

Olive ne sut comment l’interpréter. Le voyant fourrager dans ses tiroirs et caisses, à la recherche de quelque trésor mécanique, ou autres pièces détachées, comme si elle n’existait plus, elle poussa un soupir à faire vibrer les murs, tout en écartant les bras de désespoir.

Helmo, paraissant déçu de ce qui se passait sous ses yeux, lui lança un regard réconfortant. Qui fit son effet. Elle lui répondit par un sourire sincère et lumineux. Pas trop mièvre, espéra-t-elle. Et se recula dans un coin. En retrait sur un tabouret, qui après vérification ne remplissait qu’une fonction de tabouret. Pas de système hydraulique ou métallique planqué sous l’assise, ni de moteur, pas plus que de petites billes noires en guise d’yeux, qui s’actionneraient tous en même temps au moment où elle s’installerait dessus.

Elle croisa ses longues jambes, les laissant à leurs recherches et papotages techniques.

Elle se mit alors à ruminer, littéralement, dans son coin.

Qu’est-ce qu’elle y pouvait, mm ? Le hasard avait fait s’écraser Helmo Normandy dans son potager. Un homme qu’elle admirait pour ses actes héroïques de résistant émérite. Elle n’allait quand même pas regretter de lui apporter modestement son aide ? De ne pas être comme une de ces caissières de l’épicerie du centre-ville ? Bélinda, cette vieille harpie, aigrie et sans cœur, qui l’aurait éjecté de son potager, elle, à coups de pelle, de râteau, ou de coups de pieds dans le derrière ! Insensible à ses excuses, sa courtoisie, son élégance, sa carrure, son regard de braise, sa voix de velours, ses grandes mains fortes, et à la fois, certainement si dou...

Elle sursauta sur le tabouret lorsqu’une énorme chose non identifiée bondit de l’ombre pour s’abattre sur elle sans sommation. Ne pouvant l’éviter, elle tendit les bras et la réceptionna, les yeux fermés. Les rouvrant, elle se retint de faire voler ladite chose à travers l’atelier, dans un fulgurant retour à l’envoyeur. C’était un sac de voyage en tissu épais, solidement cousu, avec une fermeture éclair, des anses à mains et une bandoulière heureusement enroulées à l’intérieur. 

« On n’a pas idée de balancer des objets aux gens sans prévenir ! s’écria-t-elle.

– Vous avez des réflexes, fit remarquer Raoul. Peut-être pas les bons. Si cela avait été un chien enragé, vous seriez déjà en sang.

– Un chien enragé... N’importe quoi ! Je n’ai pas le défilement dans le sang, moi, monsieur ! J’affronte ! Je réceptionne ! Si cela avait été un bébé jeté du haut d’un immeuble, je lui aurais sauvé la vie ! »

Helmo éclata d’un rire bref. Elle se demanda bien pourquoi. Mais ce qui l’étonna encore plus, bien plus que tout le reste jusqu’à présent, ce fut la petite tape que le résistant donna sur le dos de son désagréable complice, et ces quelques mots, parfaitement audibles du coin où elle se trouvait :

« Je te préviens, Raoul. Si tu continues à importuner cette charmante demoiselle, à compter de cet instant, je quitte avec elle cette maison les mains vides, et Dame Nature sait pourtant que ton aide est toujours précieuse. »

Le temps suspendit son vol un instant.

Olive vit finalement Raoul acquiescer fort discrètement du chef, et se remettre à fouiller dans une caisse, de laquelle il sortit un sachet de vis et de boulons et une clé anglaise. 

Elle voulut applaudir, embrasser le résistant, faire un doigt au mécano, mais rien de tout cela ne lui parut très indiqué.

« Les cordages sont derrière vous, mademoiselle Olive, fit savoir Raoul en lui indiquant un placard bas près d’elle. Tu n’as qu’à prendre ce qui te convient, l’ami », ajouta-t-il à l’adresse d’Helmo.

 

Quelques minutes plus tard, le sac volant plein à craquer, ils arrivèrent tous les trois au bout d’un tunnel creusé sous la maison, débouchant parmi les arbres tentaculaires. Raoul leur indiqua la direction du chemin de fer qu’ils avaient emprunté pour venir.

Helmo serra chaleureusement la main de son ami, le remerciant encore une fois pour son aide. Raoul lui assura son soutien indéfectible, et lui souhaita bonne chance pour la suite. Puis il se tourna vers Olive et lui tendit sa main. Elle la lui serra par pure politesse, presque machinalement.

« Pardonnez mes épouvantables manières, mademoiselle. C’est que je n’ai plus guère l’habitude de recevoir de la visite.

– Oublions cela, voulez-vous ?

– Volontiers. Bonne chance à vous. Et tâchez de ne pas vous faire prendre, surtout. »

Elle hocha la tête, et enfin elle aperçut sous sa barbe grise l’esquisse sincère d’un sourire.

 

 

à suivre...

 

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© Valérie Macraigne